Les modèles de rémunération des médecins praticiens
Plusieurs formes de rémunération des médecins co-existent en France. La plupart des médecins libéraux est favorable au paiement à l’acte et à la liberté des honoraires. Même s’ils ont pour la plupart un accord avec l’assurance maladie fixant les tarifs des consultations et des actes médicaux, ils sont de plus en plus nombreux à pratiquer des dépassements d’honoraires.
Globalement, les médecins s’opposent à la généralisation du tiers payant qui ne responsabilise pas le patient.
D’autres modes de paiement (salariat, forfait, capitation) semblent à la fois plus satisfaisants pour les malades et la société. L’assurance maladie représente ces modes de payements en France et l’Europe les approuve. L’avenir sera probablement en France pour les médecins libéraux une mixité des modèles de rémunération. Tandis que le salariat restera la règle pour les médecins hospitaliers.
6 Modèles de paiement
Trois d’entre eux sont classiques et largement utilisés dans le monde : le paiement à l’acte, le salariat , la capitation. En France, ils utilisent les deux premiers.
Le paiement à l’acte
Il consiste à rémunérer en fonction du nombre de consultations, de visites et d’actes techniques réalisés.
L’assurance maladie obligatoire en 1945 a naturellement adopté le paiement de l’acte, mode de rémunération traditionnel des médecins libéraux généralistes ou spécialistes. Il correspondait à une demande de soins liée principalement aux affections aiguës.
Aujourd’hui la majeure partie des dépenses de la sécurité sociale concerne des maladies chroniques incurables pour lesquelles le paiement à l’acte est inadapté.
Elles imposent, en effet, l’intervention de plusieurs médecins et d’autres professionnels de la santé. Acteurs de nombreuses prescriptions diagnostiques et thérapeutiques, qui exigent, pour être efficaces et surtout sécurisées, un suivi et une coordination que l’ individualisme des médecins conforté par le paiement à l’acte, ne favorise pas.
Le salariat
Il concerne principalement les médecins des centres hospitaliers publics, des médecins du travail, les médecins fonctionnaires.
Capitation
C’est une rémunération annuelle versée au médecin pour prendre soin d’un patient inscrit à son cabinet pour une période déterminée. La France n’utilise pas ce mode de paiement. La rémunération du médecin est un montant fixe, qui est versé que le patient consulte ou pas.
Le niveau de rémunération pour chaque inscription est adapté aux caractéristiques cliniques et à l’âge des malades.
Il est plus élevé chez les malades atteints d’une maladie chronique et chez ceux qui souffrent de plusieurs pathologies.
Les effets de ces trois modèles de rémunération sur les comportements des médecins.
Le paiement à l’acte
Il favorise la progression de l’offre de soins par les médecins dont les revenus augmentent avec le nombre des actes.
Ce mode de paiement est très avantageux pour les professionnels qui peuvent à leur gré, accroître leur productivité en conseillant puis en accomplissant des actes bien payés et rapidement exécutés.
Cette demande de soins (actes et consultations) induite par les médecins est favorisée par l’augmentation de la densité médicale. C’est un des facteurs expliquant les différences constatées dans les études évaluant les consommations régionales en termes de soins.
Plus la densité médicale est élevée plus nombreux sont les actes effectuées dans une région. Néanmoins cette croissance ne permet pas toujours aux médecins d’atteindre le niveau moyen national.
Le paiement à l’acte favoriserait également« le nomadisme médical» : la recherche par les malades de plusieurs avis médicaux et spécialistes.
De manière générale, il y a moins de nomadisme concernant les médecins généralistes. Ils ont tendance à avoir une patientèle plus fidèle. La création du médecin “traitant” – en charge de l’orientation des patients – y contribue également.
Le paiement a l’acte a eu des effets pervers :
- satisfaction à tout prix des besoins des malades
- hausse des actes médicaux superflus.
Une autre conséquence des paiements à l’acte est le déséquilibre dans l’accès aux soins. En effet les assurances ne prennent pas toujours en charge la partie supplémentaire des dépassements d’honoraires.
Le salariat
Il concerne principalement les médecins des hôpitaux publics et parfois des hôpitaux privés assurant un service public.
Le salaire correspond à un temps de travail statutaire qui lorsqu’il est dépassé donne lieu à une rémunération complémentaire ou à une récupération du temps de travail (RTT). Le salariat n’est pas propice à la multiplication des actes.
Théoriquement le salariat réduirait le temps consacré aux soins. En pratique, les médecins sont plus disponibles et répondent mieux aux questions des malades.
La capitation
La France ignore ce mode de rémunération. Certains pays l’utilisent largement tels que :
- Australie,
- Danemark,
- Irlande,
- Norvège,
- Nouvelle-Zélande,
- Pays-bas,
- Royaume-uni,
- Pologne ou uniquement avec des médecins (Canada, Italie).
Dans ces pays, des généralistes libéraux travaillants en groupes avec d’autres professionnels dispensent les soins de santé primaires. Des groupes publics pratiquent également la capitation (Espagne, Portugal, Suède) souvent liée au salariat. Les malades s’inscrivent au près d’un médecin pour une durée limitée leur permettant de changer de cabinet ou de médecin.
La rémunération n’est pas versée directement aux médecins mais à la structure qui divise ensuite les rémunérations entre les spécialistes. La capitation n’incite pas à l’augmentation du volume des actes.
La contre partie demandée aux professionnels peut être définie lorsque la capitation concerne des pathologies chroniques. Elle peut inclure : le nombre de consultations et de tests définis par un guide de pratique, un examen clinique annuel complet, une formation des patients à la gestion autonome de leur maladie, un dossier informatisé régulièrement mis à jour.
La capitation est une procédure administrative économique et simple qui apporte, comme le salariat, une solution immédiate à la mise en œuvre du tiers payant en supprimant les paiements de l’assuré.
Les autres modèles de rémunération des médecins
Ils proposent des moyens de rémunération complémentaires en raison des effets secondaires ou supposés de ces trois modèles classiques.
Aujourd’hui dans la plupart des pays européens, les médecins disposent de plusieurs sources de revenus et font moins de grève!
Ces systèmes mixtes peuvent en théorie contribuer à l’atteinte d’objectifs différents. Certains chercheraient à améliorer la qualité des soins. Par exemple : par des forfaits ou paiement supplémentaire d’actes de prévention. Les pouvoirs publics en augmentant les revenus des médecins généralistes facilitent l’implantation dans les zones où leur densité est insuffisante.
D’autres pourraient viser à accroître l’efficience des soins de santé : une réduction des actes non conformes pourrait être observée si des sanctions financières atteignaient les médecins qui prescrivent des actes non justifiées médicalement, ou aux hôpitaux qui ont un taux de réhospitalisation élevé.
les rémunérations supplémentaires peuvent être :
- des forfaits simples;
- un paiement de la pathologie complétée ou non de sanctions positives ou négatives selon que le montant du forfait financier théorique, virtuel, déterminée par un accord conventionnel et versé par les compagnies d’assurance, pour payer les médecins n’est pas atteint ou inversement dépassé;
- Une rémunération selon la performance.
Les forfaits simples
Ils concernent la France. Par exemple, une rémunération de 40 euros par an par malade attribuée aux médecins généralistes qui s’occupent de patients atteints de maladie de longue durée.
Les paiements à la pathologie
Ce sont des forfaits complexes qui assurent à une association de soignants un forfait pour prendre en charge en partie ou totalement, les soins dont un patient atteint d’une affection chronique a besoin.
La rémunération forfaitaire à la pathologie consiste à partager entre tous les professionnels qui participent aux soins un forfait. Le montant est déterminé par les normes diagnostiques et thérapeutiques d’une pathologie. Il est modulé par les caractéristiques des patients atteints de cette maladie : en effet, les coûts et les difficultés des soins varient en fonction de l’âge, des pathologies associées et des conditions sociales.
Le paiement peut dépendre de l’ensemble des soins ou non : les soins ambulatoires, soins hospitaliers et les procédures de rééducation.
Si les coûts pour l’assureur sont inférieurs aux coûts forfaitaires, les professionnels et les hôpitaux reçoivent une partie. Si les coûts réels sont supérieurs aux coûts prévus les pertes sont partagées par les assureurs et les professionnels.
Une responsabilité collective
Les USA expérimentent depuis plusieurs années ce modèle de paiement; plus récemment l’Allemagne et les Pays-Bas, l’ont également adopté.
Il implique la création d’une association de professionnels qui assume la responsabilité collective d’une organisation, la distribution des soins, et qui acceptent de travailler ensemble pour garantir aux patients des soins coordonnés et de bonne qualité.
En effet, cette association offre aux malades des soins primaires, spécialisés et souvent également hospitaliers. Elle offre ces soins à une population d’un minimum de 5 000 patients durant une période.
Les contrats conclus entre les organismes d’assurance maladie et les associations des professionnels ont des contenus qui diffèrent d’une association à une autre. Ils peuvent inclure les dépenses d’hospitalisation ou de SSR ou se limiter à des soins primaires et spécialisés en ambulatoire.
Analyse critique des paiements à la performance des soins en ambulatoire
Aujourd’hui, la rémunération à la performance est à la mode en France sous le nom de ROSP ( Rémunération sur Objectifs de Santé Publique). Elle associe quatre volets distincts :
- la surveillance des maladies chroniques (diabète, hypertension artérielle),
- la prévention (vaccination, dépistage de certains cancers),
- l’optimisation des exigences ( réduction des risques liées à la prescription de certains médicaments et prescription des génériques),
- l’organisation du cabinet (utilisation du logiciel, à l’aide de la prescription).
Le paiement à la performance, fortement contesté?
Les économistes défendent souvent ce modèle et l’industrie et le commerce l’utilisent largement. Il consiste à rémunérer les médecins, principalement des médecins qui mettent en œuvre les recommandations préconisées par l’assurance-maladie.
Ce modèle s’applique au Royaume-Uni depuis 2004 dans un système de soins le National Health Service classé comme le plus performant en Occident. Il est aujourd’hui fortement contesté.
Le paiement à la performance permet d’améliorer la qualité des soins en augmentant le pourcentage des patients qui sont soignés dans le respect des recommandations scientifiques, et en réduisant les variations entre les pratiques médicales.
Mais pour la plupart des indicateurs choisis l’effet est petit, non persistant et contre balancé par une diminution de la qualité dans les secteurs qui ne font pas l’objet d’une incitation financière. En outre certaines incitations sont très discutables.
Par exemple, apporter un supplément aux médecins prescrivant une mammographie de dépistage est une incitation controversée. En effet, il n’est pas certain que la réalisation de cet examen ait réduit la mortalité du cancer du sein depuis 25 ans.
D’autres études affirment que si cet examen est efficace, il comporte des risques notamment du dépistage d’un cancer qui serait resté dormant. Sur 10 000 femmes dépistées, cet examen éviterait 43 décès, mais forcerait 129 d’entre elles à subir une intervention chirurgicale et des traitements inutiles.
La Pesée des risques et des avantages ne s’applique pas aux médecins mais aux femmes. C’est à elles de décider à la condition, rarement remplie, qu’elles aient été correctement informées. Inciter les médecins à prescrire cet examen c’est inciter à abuser de leur pouvoir d’influence.
Rémunérer les médecins pour des résultats incertains
Un exemple serait la rémunération des médecins pour la vaccination contre la grippe. Alors même que l’utilité de la vaccination n’est pas prouvée, surtout comparée aux complications et à la mortalité de cette maladie. C’est une incitation au gâchis des ressources publiques.
Les autorités sanitaires anglaises ont arrêté en 2006 et en 2011 de rémunérer à la performance les médecins pour l’amélioration de nombreux indicateurs ( taux de la pression artérielle, le monitoring de la glycémie chez les diabétiques) sans observer de modifications des pratiques médicales.
En tout, le paiement à la performance associé au paiement à l’acte ou à la capitation en médecine générale est une méthode peu efficace à court terme mais sans aucun doute nuisible à long terme car elle réduit la motivation morales et professionnelle.
Si les médecins n’ont pas d’autres sources de motivation que les incitations financières (le désir de soigner le patient par exemple), le paiement à l’acte deviendra de plus en plus coûteux pour les assureurs. Ces derniers augmenteront les prescriptions ainsi rémunérées. C’est également un danger pour les patients car les soins non payés deviendront négligés.
Le paiement à la performance dans les hôpitaux
Le paiement à la performance dans les hôpitaux est très répandu aux USA sans grand succès. L’Angleterre a expérimenté ce mode de paiement sur la base d’un échantillonnage d’hôpitaux. Cette expérience a démontré que le paiement à la performance était sans effet sur la mortalité de cinq pathologies par rapport à celle dans des hôpitaux non payés pour améliorer leurs performances. Dans les deux groupes une amélioration comparable a été observée entre 2007 et 2012.
En conclusion, le paiement à la performance n’améliore pas (ou très peu, et seulement temporairement) la qualité et l’efficacité des soins. Recommandé par les autorités publiques, les assureurs, les consultants privés et les économistes, ce modèle de rémunération ne peut avoir qu’un effet marginal sur la qualité de service en France. Dans notre pays, il a retenu l’attention de nos dirigeants politiques et des médecins pour deux raisons :
- il améliore les revenus des généralistes
- il réduit modestement l’écart de leurs rémunérations avec les professionnels libéraux;
Cela permet d’éviter une augmentation du prix des consultations et des visites; c’est un moyen d’échapper temporairement à un renouvellement de la délivrance archaïque des soins primaires, spécialisés et hospitaliers et de la réparation des modèles de rémunération.